Spaghetti de lampedusa

Installation russo-biélorusse à un spaghetti de Lampedusa
A l’occasion du 11e anniversaire de la « Révolution de la Dignité » (1), un défilé militaire a eu lieu le 26 mai 2025 à Qaminis dans un camp en cours de construction nommé Khalifa Haftar Military City en présence du maréchal Khalifa Haftar, du président de la Chambre des représentants libyenne Aguila Saleh, du chef du gouvernement libyen Ossama Hamad, ainsi que de délégations officielles de plusieurs pays. Cette parade militaire, outil d’influence majeur dans une nouvelle période d’instabilité politique en Libye, a eu lieu dans un camp militaire en cours de construction nommé Khalifa Haftar Military Camp.

Lors de ce défilé militaire, une occasion rare où les pouvoirs de l’Est et de l’Ouest se retrouvent, le maréchal Khalifa Haftar a indiqué dans un discours : « Nous sommes avec la volonté du peuple libyen et à son service ». Il a également affirmé que « l’objectif premier et ultime de l’armée nationale est de rétablir l’État libyen, sa souveraineté et de renforcer la sécurité et la stabilité, pour que la Libye soit sûre, stable et unie »
L’armée du pouvoir de l’Est libyen qui trouve ses locaux à Benghazi a voulu montrer qu’elle était prête à défendre le pays face aux défis politiques et sécuritaires actuels, dans un message adressé tant à l’interne qu’à l’externe. « Les forces armées libyennes ont toujours été et resteront un sujet d’attention et de soutien à tous les niveaux, afin de leur permettre d’accomplir leurs missions avec compétence et succès, au service de la nation et pour garantir l’avenir de ses enfants », a déclaré Khalifa Haftar lors de sa prise de parole.
Ce défilé militaire aura permis de voir une forte augmentation capacitaire des troupes affiliées au maréchal Haftar et pour partie commandée par son fils Saddam Haftar. Il aura permis de voir aussi qu’il se déroule sous l’œil bienveillant du partenaire russe qui aura dépêché pour l’occasion son vice-ministre de la Défense Yunus-Bek Yevkurov.
Au-delà de voir des matériels en provenance de Russie et de Biélorussie, il est intéressant de se rappeler que les dernières semaines ont été ponctuées de combats à Tripoli entre milices suite au meurtre d’Abdel Ghani al-Kikli, chef de la milice nommée Stability Support Apparatus (SSA). Al-Kikli a été tué lors d’un incident à Tripoli dans une installation gérée par une milice rivale appelée la Brigade 444, commandée par Mahmoud Hamza, le 12 mai 2025. Sa mort a déclenché des affrontements entre la SSA et la Brigade 444. Ce meurtre aura surtout servi de catalyseur dans la résurgence de la volonté de voir le Premier Ministre Dbeibah quitter ses fonctions, volonté portée à la fois par une partie de la classe politique libyenne et largement exploitée par le maréchal Haftar. Dbeibah a habilement manoeuvré pour dissoudre les milices rivales, entraînant leurs mobilisations. Et cette reprise des affrontements est une nouvelle opportunité d’Haftar, ce dernier n’envisage aucunement d’abandonner son projet de conquête de Tripoli, et dans l’hypothèse où il ne pourrait pas y accéder, il a mis sur les mêmes rails son fils Saddam.
En réalité, la véritable force de Dbeibah réside non pas dans la force de ceux qui le soutiennent mais dans les incohérences de ceux qui veulent le remplacer. dans un contexte de pré-effondrement politique d’un système à bout de souffle mais incapable de se remettre en cause va voir émerger un système de gouvernance qui devra immédiatement montrer qu’il est légitime et soutenu. Et en cela, Haftar part avec des atouts majeurs.

Russie et Biélorussie aux portes de l’Europe
Le maréchal Haftar a cherché à maintenir des relations intéressées avec la Russie mais pas uniquement puisque les américains, égyptiens et émiratis ont envoyé des émissaires réguliers auprès du chef militaire de l’Est libyen. Un autre partenaire plus discret reste en embuscade : la Chine. Par son offre de drones armés très intéressante en termes de coûts, la Chine est aujourd’hui en position de conquête en Afrique en général et la Libye n’échappe pas à la règle.
La Russie aura cherché à se trouver un point d’entrée en Afrique du Nord après son départ contraint de Syrie comme nous l’avions expliqué avec nos notes en mai 2024 et en février 2025. Ce besoin russe de disposer d’un point stratégique logistique et le besoin de liquidités issus des ventes d’armement ont savamment été exploités par Haftar qui a besoin de montrer qu’il reste incontournable dans un nouveau tour de table en Libye pour voir se mettre en place un gouvernement unique.
Pour la Russie, cette montée en capacité libyenne est bénéfique car en plus des entrées d’argent frais ou de paiement en nature (carburant, or), elle est aussi un outil d’influence important dans un moment où l’armement présent en Libye est hétéroclite : américain, turc, russe.
Dans une vidéo de la visite du complexe Khalifa Haftar Military Camp, il est possible d’observer une cabine de vol relatif, un simulateur de parachutisme et un système de formation et de simulation informatisée. Un représentant de la société LOGOS a ainsi pu présenter les différents scénarios disponibles.






En réalité, le véritable point stratégique est que désormais à la frontière Sud de l’Europe, à 350 km de l’île de Lampedusa, on assiste à une augmentation importante de l’empreinte sino-russe. Avec des enjeux majeurs sur la sécurité économique liée à l’approvisionnement pétrolier et gazier des pays européens, la gestion des flux migratoires dont certains partent ou traversent des pays où sont présents Wagner et Africa Corps. Et cette présence et influence sur le retour permettent à la Russie de disposer d’un levier de négociations face à une Europe qui augmente son soutien à l’Ukraine.
L’autre invité surprise de ce défilé est la Biélorussie. Il était connu que des officiers de l’armée libyenne avaient été en formation en Biélorussie (2).


Ce défilé aura aussi l’occasion de voir la présence discrète d’Ivan Tertel, chef du KGB biélorusse.

Une précédente rencontre avait lieu en mars 2025 en Biélorussie entre Haftar et Tertel. La communication officielle évoque la mise en place d’une coopération dans les domaines économique, éducatif, agricole et sanitaire.

Le 25 mai 2025, les autorités libyennes et biélorusses ont inauguré une maison biélorusse à Benghazi, avec des déclarations communes de collaboration dans les secteurs du transport avec la mise place de bus de marque MAZ, de l’agriculture avec notamment la possible construction d’une usine de production de farine et d’aliments pour le bétail et de la santé avec des visites d’infrastructures par la délégation biélorusses.

La visite des officiels biélorusses aura vu également des annonces de la part de la Libye sur l’absence de visa pour venir en Libye ou la création d’une entreprise commune dans le secteur agricole à Benghazi, sous le contrôle d’un membre de la famille Haftar.

D’autres accords ont été signés dans les domaines de l’industrie et l’éducation, des services d’exploration géologique et de l’industrie minière.
Après cette cérémonie et ses discussions commerciales entre partenaires, un Tupolev Tu-154M de l’armée russe a quitté Benghazi le 27 mai 2025.

Aperçu non exhaustif du matériel vu lors du défilé militaire
Fusil-brouilleur anti-drone WRJ-Q02


Drone modifié DS-220 DSTECHUAS



Véhicules blindés VPK-Spartak and Tiger


Systèmes de défense aérienne à courte portée Tor-M1/M2

Véhicules militaires tout-terrain (ATV) Tomcar TX

Missiles balistiques R-17/Scud-B et systèmes de roquettes d’artillerie 9K52 Luna-M

Tricycle militaire Konung équipé d’un PKM

VT370 & QP537 VTOL UAVs



Drones DJI Mavic et munitions téléopérées / FPV

Wing drone FXF1464


ZSU-23-4 Shilka battu avec son 1RL33/RPK-2


Pantsir-S1 (SA-22T-72A)

Systèmes BM-30 Smerch, également connus sous le nom de systèmes de roquettes à lancement multiple (MLRS) 9A52-2 de 300 mm

Quelles suites pour la Libye ?
Les tensions à Tripoli liées au maintien du Premier Ministre Dbeibah trouvent un écho particulier auprès des troupes liées au maréchal Haftar, ainsi que des milices opposées au Premier Ministre du gouvernement de Tripoli.
Dès la fin du défilé, des troupes ont été envoyées vers Tripoli, à la fois depuis l’Est de la Libye mais également de l’Ouest, sans qu’une coordination ne soit effective. Des manifestations à Tripoli appellent à l’intervention du maréchal Haftar pour déloger les milices liées au gouvernement de Tripoli et en réalité à mettre fin à ce gouvernement et prendre la main.




Du côté des instances du gouvernement de Tripoli, une campagne de purge est en cours. L’objectif est bien de maintenir en place le système actuel, notamment en gardant la main sur une partie de la rente financière arrivant de l’exploitation pétrolière.
Les autorités de Tobrouk, pour verrouiller l’outil économique et contraindre le gouvernement de Tripoli, ont déclaré qu’un cas de force majeure concernant les champs pétroliers et les terminaux maritimes sous son contrôle pourrait être la seule option disponible face à l’instabilité à Tripoli, entraînant un incident de sécurité et une prise d’assaut du siège de la NOC dans la capitale.
Les chances que les autorités de l’Est mettent en œuvre la force majeure sont élevées et sont actuellement envisagées par les acteurs sécuritaires et militaires de l’ Est de la Libye. Pour les autorités de l’ Est, il s’agit d’un atout supplémentaire contre les tentatives de Dbeibah de s’accrocher au pouvoir à Tripoli, et l’attaque contre la NOC hier constitue un bon prétexte. Les prochains jours détermineront la direction qu’elles prendront.
Par ailleurs l’ambassadeur russe en Libye a mené une réunion avec les leaders de la jeunesse toubou le 29 mai 2025, avec pour objectif d’offrir des bourses d’études en Russie. Par cette offre à destination de l’ethnie majoritaire du Sud libyen, présente par ailleurs au Nord Niger et au Nord Tchad, l’ambassade russe prend la main par en doucement mais sérieusement sur une zone d’intérêt stratégique, regroupant par ailleurs mines d’or, puits de pétrole, trafic d’êtres humains et de drogue, milices armées non affiliées.

L’entrisme russe et biélorusse auprès d’Haftar, qui sera d’une manière ou d’une autre présent dans les prochaines instances de gouvernance libyenne, vont bousculer les volontés européennes et américaines pour la résolution de cette crise aux portes de l’Europe, avec des défis connexes majeurs. En premier lieu l’approvisionnement énergétique européen. Et ce défilé militaire est bien plus qu’un simple exercice d’auto satisfaction du maréchal Haftar et de son état-major mais bien un message géopolitique fort.
(1) Opération militaire menée par le maréchal Khalifa Haftar lancée en 2014 pour expulser Al-Qaïda, l’EI et d’autres groupes terroristes à Benghazi et les environs.
(2) https://libyareview.com/53516/elite-libyan-forces-complete-training-in-belarus/