Africa Flop

Lors de la seconde guerre mondiale, le régime nazi avait annoncé avec fierté la mise en place de l’Afrika Korps, en Afrique du Nord, sous le commandement d’Erwin Rommel. Ce dernier, auréolé de sa légende sur d’autres théâtres militaires et après des succès tactiques en Libye, sera arrêté par les Forces Françaises Libres du Général Koenig à Bir Hakeim le 11 juin 1942.
Quel parallèle avec la situation au Mali, pays ayant fait le choix souverain de recourir à la société militaire privée russe Wagner pour lutter contre le terrorisme, remplacée par une opaque unité militaire rattachée au ministère de la Défense russe ? D’abord un hasard de calendrier entre l’histoire de l’Afrika Korps et l’annonce de la mise en place de l’Africa Corps russe au Mali après, selon leur propre déclaration, « le devoir accompli » au Mali par Wagner. Fin mai – début juin 1942, mise en place de l’Afrika Korps, Fin mai – début juin 2025, mise en place de l’Africa Corps russe au Mali.
Ensuite une analogie volontaire à ce corps militaire nazi présent en Afrique lors de la Seconde Guerre Mondiale, annoncé comme le remplaçant de la SMP Wagner, après l’annonce officielle d’un départ avec un bilan nul à négatif opposable pour certains faits à la Cour Pénale Internationale, en dépit d’une communication officielle pleine d’autosatisfaction.
Enfin, et parce que les derniers événements en Afrique de l’Ouest pour l’Africa Corps russe ressemblent assez à l’histoire de l’Afrika Korps : déversement de matériels modernes, formations de bataillons, communication poussive, mise en place d’un chef charismatique…et premières défaites et pertes notables.
Dans une situation générale au Sahel qui tourne clairement à l’avantage du JNIM (contrôlant les abords immédiats de Bamako), qui désormais appelle publiquement à la constitution d’un gouvernement d’union nationale sans la junte, et cette même junte qui s’attribue des mandats de 5 ans sans élections, l’Africa Corps apparaît comme faible tactiquement et incapable d’inverser cette tendance lourde de conséquences.
Suite logique d’une inefficacité de Wagner, affublé par certains spécialistes de cette zone du titre élogieux d’élément accélérateur de la dégradation sécuritaire et humanitaire, Wagner sous son nouveau label d’Africa Corps montre une nouvelle fois qu’au-delà d’une proposition de valeur sécuritaire, la Russie ne fera vraisemblablement pas mieux que les autres au Sahel.
Wagner vraiment parti ?
Le 06 juin 2025, Wagner annonce son départ du Mali, avec le sentiment du « devoir accompli ». Une vidéo est diffusée sur les différents canaux du groupe sur les réseaux sociaux pour annoncer ce départ.
Toutefois, depuis plusieurs mois, la Russie a préparé ce qui ressemble à un renforcement en matériels et possiblement en hommes au Mali.
Depuis le début de l’année 2025, plusieurs chargements de matériels en provenance de Russie ont pu être observés au large de Conakry en Guinée, suivis d’images de convois entrant dans Bamako. Ce renforcement avait notamment permis de voir la mise en place de matériels spécifiques comme des engins de guerre électronique, des chars et engins blindés.


Figure 01: Matériels convoyés vers Bamako depuis Conakry en début d’année 2025 – Source


Figure 02 : Matériels convoyés vers Bamako depuis Conakry le 03 juin 2025, dont deux systèmes de guerre électronique EW Borissoglebsk-2 systemBTR et Vystrels – M – Source : ORTM


Figure 03 : Présence du Baltic Leader et du Patria au large du port de Conakry en Guinée le 20 mai 2025. Ces navires battant pavillon russe sont connus pour acheminer du matériel au port de Conakry, matériel ensuite convoyé par route vers Bamako. – Source : MarineTraffic
Le débarquement de ces navires aura permis d’évaluer le volume global d’engins qui sera ensuite convoyé vers Bamako à destination de l’Africa Corps.

Figure 04 : Vue satellite du port de Conakry après le débarquement des deux navires Patria et Baltic Leader le 25 juin 2025 – Source image : Planet, source analyse : Inpact
Dans le cadre de ce renforcement en matériel, une observation satellite de l’aéroport de Bamako a permis de voir la présence d’un avion SU-24. D’un intérêt limité dans un usage air-sol, la présence de cet avion est plus un symbole de puissance qu’un déterminant dans des affrontements asymétriques avec les groupes rebelles ou terroristes du Nord Mali.

Figure 05 : Image satellite du SU-24 observé à Bamako le 14 avril 2025 – Source
D’un point de vue d’un éventuel renforcement en hommes ou d’un départ des effectifs, depuis décembre 2024 et de l’atterrissage à Bamako le 16 décembre 2024 d’un avion IL 76TD immatriculé RA-76841 en provenance d’Al Khadim en Libye, puis d’un second IL 76TD immatriculé RA-76845 arrivant également d’Al Khadim.


Figure 06 : Suivi des deux avions IL 76TD arrivant d’Al Khadim en Libye vers Bamako en décembre 2024 – Source FlightRadar
Durant le mois de mai 2025, un avion de l’armée de l’air russe An-124 immatriculé RA-82030 a également fait de nombreuses rotations entre la Libye et Bamako avec parfois des escales au Burkina-Faso.

Figure 07 : Suivi de l’avion cargo russe An-124 RA-82030 en déplacement depuis Bamako et la Libye le 24 mai 2025 – Source : Flightradar
Plus tôt dans l’année 2025, des vols depuis la base syrienne de Kheimeim avaient été observés arrivant à Bamako.

Figure 08 : Suivi de l’avion cargo de l’armée russe An-124 immatriculé. RA-82038 en provenance de Syrie vers Bamako – Source : Flightradar
Pour mieux recentrer ce renforcement des moyens russes au Mali, il faut aussi rappeler une réunion tenue à Bamako le 06 mars 2025 des autorités russes avec la junte, réunion qui avait pour objet l’évaluation de la coopération militaire entre les deux pays.

Figure 09 : Photo de la réunion entre les autorités russes et Assimi Goïta à Bamako le 06 mars 2025 – Source
Départ des combattants de Wagner ou intégration au sein de l’Africa Corps avec la subordination au ministère russe de la Défense, les différentes images publiées montrent déjà un changement dans les tenues et l’armement individuel détenus par les troupes de l’Africa Corps. Exit les vieilles kalashnikov usées, place à des versions modernes des armes russes avec aides à la visée et silencieux. Ce recyclage est également observé dans l’encadrement identifié, avec en premier lieu la présence revendiquée d’Andreï Ivanov, le charismatique chef de Wagner au Mali.

Figure 10 : Première photo publiée après l’annonce du changement entre Wagner et l’Africa Corps. Au centre le commandant pour le Mali, Andreï Ivanov @ Kep, connu pour avoir commandé la légion Wagner au Mali. Source : canaux TG Wagner
Premier revers tactique : Anoumalen 2025
Wagner avait fait le choix d’occuper différentes bases dans le Nord Mali : Gao, Ménaka, Anefis, Aguelhok, Kidal, Tessalit, profitant notamment des installations laissées par le départ de la MINUSMA. Ainsi, le 12 juin 2025, un convoi logistique de trente véhicules s’élance d’Anefis pour ravitailler le camp d’Aguelhok et y construire une piste sommaire d’aéroport. Certains véhicules sont des véhicules récupérés dans les bases de la Minusma, notamment les camions et engins de terrassement.
Une première attaque par engin explosif est menée par le Front de Libération de l’Azawad (FLA) à Tadjwart sur un porte-char. Cette attaque est aussi l’occasion pour le FLA de dévoiler une nouvelle organisation avec des katibas porteuses de noms d’illustres combattants touareg.


Figure 11 : Mines anti-char PRBM-M3 exposées par des combattants du FLA après l’attaque contre un convoi mixte Fama et Africa Corps à Tajwart entre Anefis et Aguelhok au Mali. Source1 / Source2
Cette attaque a donné lieu à plusieurs publications montrent des patchs présentés comme saisis sur un ou plusieurs combattants de l’Africa Corps. Sur le patch présenté comme étant celui de l’Africa Corps, on observe la tête de mort traditionnellement présente sur les patchs de Wagner. Le remplacement de Wagner par l’Africa Corps n’est finalement pas une certitude mais bien une intégration dans une autre structure avec un nouveau nom.


Figure 12 : Patchs pris sur un ou plusieurs combattants de l’Africa Corps au Mali. A droite, le patch officiel de l’Africa Corps. Multi sources sur X
Le 13 juin 2025, toujours en progression vers Aguelhok, le convoi est une nouvelle fois attaqué entre la zone de Telabit et Anoumalen.


Figure 13 : Captures d’écran des détections d’incendie dans la zone des combats le 13 juin 2025 – Source : Nasa Firm

Figure 14 : Carte générale de la zone des combats entre le FLA et l’Africa Corps/FAMa le 13 juin 2025 – Source INPACT
Les combats voient l’éparpillement des éléments du convoi avec un bilan humain important. Ces combats ont illustré une nouvelle fois que la réorganisation du FLA en groupes autonomes spécialisés a permis de disposer d’une supériorité tactique qui s’accompagne d’une connaissance parfaite du terrain.
Les groupes de combat du FLA engagent des pilotes de drones FPV et des drones transformés en munitions téléopérées, confirmant une montée en compétences sur ce domaine au Sahel. Ils ont ainsi visé certains véhicules du convoi.


Figure 15 : En haut, pilotes de drones du FLA lors des combats du 13 juin 2025, en bas, image provenant d’une des drones du FLA juste avant une frappe sur un véhicule du convoi Africa Corps / FAMa – Source

Figure 16 : Capture d’écran montrant un drone transformé en munition téléopérée utilisée par le FLA – Source
Il est possible d’observer la présence d’antennes satellite Starlink mini, fournissant l’accès à internet et aux messageries servant à la coordination entre les groupes.

Figure 17 : Dispositifs Starlink mini installés avec des supports aimantés sur certains véhicules du FLA – Sources : Membres FLA sur X
Une des katibas identifiées du FLA est celle nommée Alla Ag AlBachir, célèbre combattant pour l’indépendance de l’Azawad dans les années 60. Certains chefs de groupe sont connus, notamment le gendre d’Alghabass Ag Intallah, chef du FLA et fils de l’aménokal des Ifoghas, Intalla Ag Attaher.
Les troupes de l’Africa Corps utilisent également des drones en fonction « command & control », possiblement pour guider les frappes d’un engin blindé BTR-80 ou d’un drone qui aura frappé au moins un véhicule du FLA, tuant un chef de groupe nommé Miya Ag Saghdou. Le FLA annonce 3 morts suite aux combats.

Figure 18 : Capture d’écran d’une vidéo diffusée sur le canal TG « White Uncle in Africa » montrant les combats contre le FLA. La vidéo porte le filigrame Wagner group 2022 – Source

Figure 19 : Image filmée depuis un drone par l’Africa Corps montrant l’emploi d’un BTR-80 durant les affrontements avec le FLA le 13 juin 2025 – Source : Africa Corps sur X
Cet affrontement aurait fait 45 morts côté Fama et Africa Corps, bilan non consolidé et non confirmé. Sur les trente véhicules du convoi initial, seulement une dizaine aurait réussi à rallier Aguelhok.
Le 14 juin 2025, nouvelle déconvenue pour l’Africa Corps avec le crash d’un avion militaire russe, probablement un Su-24 dans le fleuve Niger durant sa phase d’approche de l’aéroport de Gao. Si le FLA affirme avoir abattu l’avion, il est plus probable qu’une tempête de sable, habituelle en cette période dite » d’hivernage », soit la cause de ce crash.

Figure 20 : Récupération des débris de l’avion de combat russe dans le fleuve Niger à Gao – Source
Après ces combats et cette perte matérielle, une bataille de punchline et des bilans a été lancée sur les réseaux sociaux, menée notamment par les soutiens de la junte mais également par l’Africa Corps qui poursuit la communication initiée par Wagner avec la valorisation des exactions et des pertes parmi les civils et les groupes opposés.

Figure 21 : Publication de l’Africa Corps en réponse aux invectives des membres et soutiens du FLA, issu d’un groupe TG nommé Jumanji– Source
Alors que retenir de cette bascule russe au Mali ?
La situation dans le pays est aujourd’hui inquiétante. Wagner et désormais Africa Corps ne sont clairement pas en mesure de reprendre le dessus sur les groupes terroristes et en premier lieu le JNIM désormais installé à moins de 80 km de Bamako.
Le revers subi à Anoumalen nous montre que les FAMa restent cantonnés dans des bases avec peu de capacités de sortir mener des opérations depuis ces casernes. Cela crée une frustration grandissante parmi la troupe et les officiers qui voient par ailleurs les relèves se faire de plus en plus longues, laissant loin de la capitale des militaires qui savent que la communication officielle est en réalité un mirage. Dans le Gourma, les rares sorties des FAMa et de l’Africa Corps se soldent par des exactions contre les populations civiles, accusées d’être complices des groupes armés uniquement sur la base de soupçons contre les ethnies du Nord Mali.
De source propre, INPACT a pu échanger avec certains membres des FAMa qui expliquaient que la junte a largement permis la mise en place d’officiers dans des délégations diplomatiques à l’étranger pour contenir certains mécontentements, que certains officiers et cadres ont déplacé leurs familles dans les pays voisins de l’AES.
Le jeu des alliances pro et anti-junte continue de creuser des antagonismes communautaires au sein même des populations du Nord mali avec d’un côté les groupes indépendantistes ralliés sous la bannière du Front de Libération de l’Azawad et de l’autre le Gatia et le Mouvement pour le Salut de l’Azawad qui participent à des patrouilles mixtes avec l’Africa Corps, y compris dans des actions contre les populations dans des dynamiques de contrôles territoriaux propres à chaque groupe.


Figure 22 : Photos non datées de combattants du MSA porteurs d’un patch russe durant une patrouille mixte avec Wagner ou l’Africa Corps – Source1 / Source2
L’autre enseignement de ces combats est que chaque liaison logistique est coûteuse en hommes et matériels, le FLA reste maître d’un terrain âpre, propice au combat d’embuscade. Le développement capacitaire du FLA montre aussi que l’apport technologique opéré grâce aux drones et aux liaisons satellitaires permet à des combattants agiles et résilients de mener des opérations audacieuses, avec la foi de ceux qui défendent leurs terres.
L’Africa Corps n’a plus d’autres choix que de montrer qu’elle est plus utile que Wagner, que le prix payé par le Mali pour s’assurer une protection contre des groupes armés audacieux n’est pas une gabegie sans fin. Pour l’heure, cette bascule tient plus du flop que l’opération stratégique qui va changer le cours des événements au Mali.